Source : www.le-patriote.info
En face de Cannes le chantier naval de l’Estérel veut continuer d’exister même si des bâtons lui sont mis dans le gouvernail sans que l’on sache trop pourquoi. Une quinzaine d’emplois sont en jeu.C’est en 1993 que Claus Johansen rachète ce chantier naval présent depuis 1936 sur l’île Sainte Marguerite face à la baie de Cannes. Cet ex-informaticien passionné par la voile depuis son enfance a donc donné un grand coup de barre dans sa vie et veut continuer dans cette direction. Il se bat pour que son chantier survive et il y arrive plutôt bien. Malgré la crise qui lui a fait perdre 30% de chiffre d’affaires le chantier continue de tourner avec 14 employés. En cette fin février trois bateaux sont en réparation. Menuisiers et électriciens s’activent. La particularité de ce chantier sont les slipways ces rails qui plongent dans la mer et qui permettent de sortir des bateaux allant jusqu’à quarante mètres sans « brutalité ». » Les grues comme il y a à Cannes Antibes ou Nice sont beaucoup trop violentes pour les coques en bois » explique C. Johansen Ainsi il est le seul à avoir ce genre d’installation entre Toulon et San Remo très précieuse pour réparer les catamarans.Jusqu’à la fin des années 1990 le chantier fonctionne sous le régime d’une concession d’outillage privée avec obligation de service public. Cependant ce genre de concession n’existe plus et un nouvel accord doit être trouvé entre le chantier naval la ville de Cannes et l’Etat. C’est ce qui doit se faire en 2002 avec la mise en place d’un protocole d’accord signé par les trois parties. Mais ce protocole resta sans suite jusqu’à aujourd’hui. Le chantier continue donc de travailler dans un flou juridique assez bizarre sans droit ni titre.Accuser de polluer. Puis en 2007 des associations l’accusent de pollution alors que le chantier est pourtant » le premier à avoir le critère Iso 14 001 » se défend le propriétaire. La Cour d’appel d’Aix en Provence donnera gain de cause au chantier mais l’affaire n’est pas claire. En effet un des représentants de la partie civile était lié avec le projet de complexe hôtelier de grand luxe qui devait s’installer… à la place du chantier et de l’hôtel délabré qui le jouxte. Le projet est pour le moment officiellement abandonné par la mairie. Cependant en 2010 la commission départementale de la nature et des sites émet un avis défavorable au maintien du chantier naval sur l’île site classé et inscrit Natura 2000. Claus Johansen ne comprend pas. » Personne n’a d’ailleurs vraiment compris. Nous nous étions engagé à dépolluer les sols et à faire de ce chantier un site HQE (Haute Qualité Environnemental) « . Cet investissement lourd de 1 million d’euros devait se faire en échange d’une concession de 30 ans.Le problème des domaines. Le gros point d’achoppement se concentre maintenant sur les délimitations du Domaine Public Maritime sur lequel se situe le chantier. Celui-ci appartenant à l’Etat n’avait jamais été mesuré. Chose faite par un expert-géomètre en 2010 qui fait apparaitre que le DPM est une bande littorale étroite englobant une partie des slipsways et non pas les 3850m2 tel que le procès verbal établi en 2005 le précisait. La grande majorité du chantier est donc sur un terrain appartenant à la ville. Le tribunal administratif acte cette nouvelle délimitation. La préfecture la mairie et le chantier semble sur une bonne voie d’entente. Un article de Nice-Matin fait même mention du soutien de l’Etat aux projets de la ville celui-ci se dit prêt à concéder cette partie du domaine public. Puis patatras. La commission départementale de la nature et des sites se prononce contre le maintien du chantier et l’Etat publie fin 2012 un appel d’offre pour une nouvelle délimitation du domaine public maritime sur le site. Celle-ci semblable à celle de 1907 ( !) englobe la totalité du chantier. Evidemment la société du chantier et son avocat Maitre Germani contestent et ne reconnaissent que les limites fixées en 2010 par jugement rendu du Tribunal administratif. » S’ils ne veulent pas l’entendre nous retournerons au tribunal administratif » préviennent-ils. Pourquoi cet acharnement contre productif ?On est en droit de se demander pourquoi la préfecture tient tant à cet espace. Cela ressemblerait presque à de l’acharnement. Est-ce une simple logique administrative ? Est-ce dans un intérêt écologique ou dans un autre intérêt que nous ne connaissons pas encore ? Quid en tout cas de l’intérêt économique ? David Lisnard premier adjoint au maire reconnait dans le Nice-Matin du 3 janvier 2013 que » ce n’est pas une erreur de penser que cette démarche s’inscrit dans une volonté manifeste de s’attaquer à ce chantier. » Mais encore une fois pourquoi ?Interpellé à ce sujet par l’avocat du chantier le correspondant régional du ministère du redressement productif a refilé la patate chaude à la préfecture des Alpes Maritimes qui n’a pas très bien pris ce courrier mettant en cause la responsabilité de l’Etat. Le Préfet dans sa réponse réaffirme poursuivre le chantier pour occupation sans droit ni titre du domaine public maritime – suivant la délimitation rendue par le TA en 2010 rappelant notamment les enjeux environnementaux et de protection du littoral. Le chantier doit détruire et évacuer quelques plots en bétons les rails et le ponton d’accostage. Le maire de Cannes est aussi monté au créneau suite à une prise de position de la direction départementale des Territoires et de la Mer s’opposant à toute tentative de sauvetage de ce site industriel. Dans une lettre envoyée le 20 décembre 2012 au même ministère il explique que » la disparition d’une activité fondamentale historique et identitaire pour la ville entraînant la suppression d’une vingtaine d’emplois directs ainsi qu’une vingtaine d’emplois indirects ne [lui] semble pas opportune dans le contexte actuel de lutte pour la sauvegarde de l’emploi « .Accord en vue ? Si la position du préfet semble intransigeante elle n’est que le rappel de la loi – qu’elle soit juste ou injuste. Mais alors » pourquoi le protocole d’accord de 2002 n’a jamais été mis en place ? » s’exclame l’avocat Maitre Germani. Tout aurait été plus simple. Ce dernier fait d’ailleurs remarqué dans le courrier adressé en décembre 2012 à Arnaud Montebourg ministre du redressement productif que » les services préfectoraux vont se refuser de fait à engager une procédure de délégation du service public et à délivrer un titre provisoire d’occupation. « Interrogés sur la situation du chantier naval de l’Estérel ni le préfet et ni le premier adjoint de Cannes n’ont voulu répondre à nos questions. En effet des discussions sont en cours et devraient faire avancer le dossier lors d’une réunion le 20 mars prochain. Le 3 janvier dernier David Lisnard était d’ailleurs plutôt optimiste : » J’ai senti une vraie volonté [de la part du préfet] comme du préfet Lamy il y a trois ans de faire évoluer le dossier dans le bon sens. » La solution la plus simple serait en tout cas que l’Etat concède à la ville l’utilisation des dépendances du DPM comme la ville lui avait d’ailleurs demandé le 25 février 2008.En attendant tous les jours qu’ils pleuvent ou qu’ils ventent les ouvriers se rendent sur l’île. Guy le contremaître a commencé à y travailler à 13 ans. Il approche aujourd’hui de la retraite et représente ce savoir-faire qui ne devrait plus avoir à prouver la pertinence de son existence. Si l’industrie est en difficulté en France pas besoin de la couler encore plus.Julien Camy