Beneteau à voile et à moteur

Source : www.lesechos.fr

En octobre 2008 le ciel vient de tomber sur l’économie mondiale en général et de l’industrie de loisirs en particulier. Beneteau le numéro un mondial de la voile subit la tempête comme les autres. Les premiers Salons nautiques de la saison se sont mal passés malgré les nouveautés l’action s’effondre les salariés s’angoissent. Pourtant Bruno Cathelinais est optimiste. Le président du directoire depuis qu’Annette Roux héritière du fondateur lui a passé les commandes en 2005 ne cache pas la vérité aux salariés lorsqu’il les réunit :  » Oui la crise est sérieuse  »  » les prises de commandes sont préoccupantes  » mais  » nous allons profiter de la crise pour creuser l’écart avec nos concurrents « . Il l’a dit il l’a fait. Aujourd’hui Beneteau grâce à son développement dans le moteur est passé du cinquième au deuxième rang mondial de la plaisance (voile et moteur réunis) sort en effet renforcé de la crise et profite de la nouvelle vague de commandes qui arrivent des Etats-Unis et des pays émergents. Si Cathelinais a pu montrer sa confiance au démarrage de la crise c’est parce que Beneteau était plus prospère et solide que les autres. Le père du First 30 était un des rares avec ses 200 millions d’euros à disposer d’une trésorerie positive. Alors que beaucoup d’analystes l’exhortaient à l’utiliser en digne groupe familial encore contrôlé à plus de 54 % par la famille fondatrice il s’était montré prudent n’avait pas succombé à l’emballement qui saisit un secteur où le monde des fonds d’investissement donc de l’endettement s’était mis à tirer des bords. Beneteau avait les moyens de  » faire de la crise une opportunité  » comme l’explique aujourd’hui son patron. De la même façon le coup de torchon du début des années 1990 lui avait permis de penser l’impensable acheter Jeanneau l’ennemi juré le concurrent acharné. Il profita en 1995 des difficultés financières du créateur du hors-bord Cap Camarat propriétaire des catamarans Lagoon et des voitures Microcar pour s’en rapprocher. Donc même si Cathelinais reconnaît a posteriori trouver  » ce pari un peu fou  » d’avoir décidé de doubler le rythme de ses investissements au lieu de se mettre à l’abri il n’a fait que s’inscrire dans les gènes de l’histoire du groupe. 1912 le premier bateau à moteur Lorsqu’un jour de calme plat en 1912 Benjamin Beneteau met un moteur à son bateau de pêche les pêcheurs (à voile) bloqués au port lui jettent des pierres mais lui revient chargé de poissons et baptise son bateau  » Le vainqueur des jaloux « . Le chantier est lancé ses bateaux iront de plus en plus vite :  » Il fallait que ces bateaux soient le plus rapide possible puisque c’était le premier rentré au port qui vendait son poisson le plus cher  » raconte sa petite-fille Annette Roux. C’est elle qui avec son frère pour sauver l’entreprise 17 salariés menacée de la noyade par la crise de la pêche l’orientera vers la plaisance. En présentant au Salon nautique de Paris en 1964 la première coque en polyester elle ouvrira la voie qui l’a conduite jusqu’à détenir 30 % du marché mondial de la voile et la première place européenne du moteur. La nouvelle stratégie mise au point en 2009 et appliquée depuis 2010 est sur le papier assez simple. Lorsque le marché rétrécit il faut l’agrandir. Beneteau commence par viser les Etats-Unis le plus grand marché du monde dont il était absent sur les bateaux à moteur – or il s’en vend huit fois plus que de voiliers. La crise venant de faire sombrer nombre d’acteurs américains l’occasion se présentait enfin même si elle était coûteuse : il fallait mettre en place des réseaux commerciaux bâtir une offre séduisante :  » Depuis quatre ans nous dépensons plus d’argent que nous en gagnons.  » Mais en 2014 il recommencera à s’autofinancer. Si depuis 1986 le groupe possède aux Etats-Unis une usine pour la voile il n’en a pas encore pour le moteur. Il choisit donc le créneau des grands bateaux dont les prix de vente justifient l’exportation à partir d’Europe (25.000 dollars pour expédier un 15 mètres). Parti de zéro en 2008 il en vend pour 100 millions d’euros. Le pays qui représentait 7 % de ses ventes en 2010 en est à près de 20 % et il table sur 25 % d’ici à 2020. Les chiffres sont à peu près les mêmes pour le second cap qu’il a décidé de prendre celui des pays émergents. Une usine ouverte au Brésil en 2012 lui ouvre les portes de l’Amérique du Sud et lui permet d’économiser les taxes qui doublent les prix. La Chine futur eldorado Les Américains et les Européens n’ont pas les mêmes goûts. Les premiers veulent plus de confort : espaces intérieurs air conditionné vidéo :  » Si l’écran de télévision est trop petit ils ne regardent même pas le bateau  » explique-t-on chez Prestige la griffe du luxe à moteur de Jeanneau. Les Européens sont plus attentifs aux espaces extérieurs où ils aiment profiter de la mer et du soleil. Mais au moins ont-ils en commun de vouloir avoir un bateau pour… faire du bateau. Pour les Chinois il s’agit plus d’un signe extérieur de richesse qui reste au port où l’on reçoit. C’est pour les satisfaire que la cabine avant du Prestige 720 peut être transformée en bureau ou en salle de karaoke. D’ailleurs les Salons nautiques qui se développent en Chine sont souvent des Salons de luxe où les bateaux voisinent avec des bijoux ou des hélicoptères.  » Si la plaisance s’étend aux petits et moyens bateaux ce sera le plus grand marché du monde  » rêve Cathelinais. Aujourd’hui il n’existe pas de vraie concurrence locale mais coup sur coup des Chinois viennent de racheter l’italien Ferretti (Riva) et le britannique Sunseeker. Si Beneteau étend son rayon d’action géographique il élargit aussi sa gamme en investissant le créneau des grands bateaux à moteur de 18 à 20 mètres où il n’était pas encore alors qu’il est bien installé sur celui des plus petites unités telles celles qu’il construit en Pologne avec des coûts quatre fois inférieurs aux français comme le hors-bord Cap Camarat un best-seller – 20.000 exemplaires depuis sa naissance en 1982 (premier prix 15.000 euros pour le 470 m et son 40 CV). Au total la stratégie a fonctionné Beneteau en quatre ans n’aura laissé dans la crise que 27 % de ses ventes dans un marché mondial divisé par deux. Celui-ci devrait renouer avec la croissance l’an prochain mais n’est pas près de retrouver son niveau d’avant la crise (voir ci-contre). Déjà cette année quand l’Europe a touché le fond l’Amérique du Nord a fortement repris (+ 47 %) Si Beneteau a tenu la mer c’est parce qu’il a eu les moyens d’investir mais aussi parce que sa productivité est une des meilleures du secteur. Il est un des premiers à avoir utilisé la conception assistée par ordinateur garante d’optimisation de l’espace la clef sur un bateau. Révolutionnaires aussi ses chaînes récentes qui peuvent accueillir plusieurs types de bateaux et ne sont plus monoproduits. A l’image de l’automobile l’utilisation de pièces communes se développe. Dans l’usine des Herbiers en Vendée on n’est quand même pas chez Volkswagen on y rencontre plus de menuisiers et autres corps de métiers occupés à fignoler le teck que de robots le rythme de production ne le justifierait pas. On a beau être dans la plus grande usine du monde il en sort environ 70 bateaux par mois. Reste que son efficacité lui permet d’être compétitif : le dernier symbole de la montée en gamme des yachts maison le Prestige 720 vaut avec ses deux moteurs de 1.200 CV 24 millions d’euros (HT) quand son équivalent chez Ferretti coûte 32 millions. Reste à Beneteau à consolider son second flotteur celui des mobil-homes auquel il ajoute une branche encore très mince d’habitat en bois. Les mobil-homes ont gagné beaucoup d’argent pendant la crise mais ont chuté l’an dernier quand la plaisance se redressait. Il y a toujours quelque chose à faire sur un bateau. Sabine Delanglade